L’arrêt Teffaine, rendu par la Cour de cassation le 16 juin 1896, est une décision majeure dans l’histoire du droit français de la responsabilité civile. Cet arrêt marque en effet la reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses, permettant d’engager plus facilement la responsabilité des propriétaires en cas de dommage causé par les objets dont ils ont la garde.
Une interprétation audacieuse du Code civil
A l’origine, le Code civil ne prévoyait que des régimes spéciaux de responsabilité du fait des choses, comme celle du fait des animaux ou des bâtiments en ruine. L’article 1384 alinéa 1er n’avait pas vocation à poser un principe général. Pourtant, face à la multiplication des accidents dus aux machines avec l’industrialisation, les juges ont progressivement adopté une lecture audacieuse de ce texte pour faciliter l’indemnisation des victimes. C’est chose faite avec l’arrêt Teffaine.
Les faits à l’origine de la décision Teffaine
Les faits sont les suivants : M. Teffaine décède à la suite de l’explosion de la chaudière du remorqueur à vapeur dont il est le mécanicien. Ses ayants droit demandent réparation au propriétaire du bateau. Problème : aucune faute ne peut être reprochée à M. Teffaine, ni au propriétaire. La cour d’appel condamne quand même ce dernier, mais sur le fondement discutable de la responsabilité des bâtiments en ruine.
Bon à savoir : la responsabilité du fait des bâtiments en ruine est un régime spécial prévu à l’origine à l’article 1386 du Code civil. Il permet d’engager la responsabilité du propriétaire d’un bâtiment qui s’effondre et cause des dommages, même en l’absence de faute prouvée.
La solution novatrice apportée par la Cour de cassation
La Cour de cassation valide la condamnation mais pas le raisonnement. Elle statue en effet que l’article 1384 alinéa 1er permet d’engager la responsabilité du propriétaire, sans qu’il puisse s’exonérer en prouvant l’absence de faute. C’est la première fois que la Cour reconnaît à ce texte une véritable valeur normative et qu’elle pose les bases d’un principe général de responsabilité du fait des choses.
«Cette solution est révolutionnaire ! Elle va permettre à de nombreuses victimes d’accidents de machines d’obtenir réparation de leur préjudice, alors qu’auparavant elles se heurtaient à la difficulté de prouver une faute», s’enthousiasme Maître Martin, avocat spécialisé en responsabilité civile.
Une étape décisive malgré des hésitations initiales
La solution est novatrice par rapport à l’intention originelle du Code civil. Dans un premier temps, la jurisprudence a d’ailleurs hésité à appliquer ce nouveau principe. Mais l’arrêt Jand’heur de 1930 viendra le confirmer et ainsi consolider la possibilité d’engager plus facilement la responsabilité des propriétaires. L’arrêt Teffaine aura donc été une étape décisive dans l’évolution du droit français, ouvrant la voie à une meilleure indemnisation des victimes de dommages causés par des choses inertes.
Un principe encore perfectible
Si l’arrêt Teffaine marque un progrès indéniable, des limites subsistent. La jurisprudence devra encore préciser la notion de garde de la chose, ou déterminer si ce régime s’applique uniquement aux choses dangereuses.
De plus, certains auteurs like Josserand estiment que ce principe pourrait être étendu à la responsabilité du fait d’autrui. Cette proposition suscitera des débats doctrinaux qui se poursuivront tout au long du 20ème siècle.
Conclusion
En définitive, bien que perfectible, l’arrêt Teffaine aura indéniablement fait progresser le droit de la responsabilité civile vers une meilleure indemnisation des victimes. Il ouvrira la voie à de nouvelles évolutions jurisprudentielles qui étendront le champ de la responsabilité c