L’arrêt Fullenwarth du 9 mai 1984 est l’un des grands arrêts rendus par la Cour de cassation en matière de responsabilité civile. Il a profondément modifié les règles relatives à la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur.
Les circonstances tragiques à l’origine de l’affaire Fullenwarth
Tout commence par un dramatique accident survenu le 4 août 1975. Ce jour-là, Pascal, un garçon de 7 ans, décoche une flèche avec un arc artisanal en direction de son camarade David. Malheureusement, la flèche atteint David en plein oeil et l’éborgne.
Suite à cela, le père de David décide d’engager la responsabilité du père de Pascal, en sa qualité de civilement responsable de son fils mineur. Il l’assigne donc en justice sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, qui prévoit la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs.
Les questions juridiques posées par l’affaire Fullenwarth
La question centrale posée dans cette affaire était de savoir si la responsabilité des parents pouvait être engagée même en l’absence de faute de l’enfant. Jusqu’alors, la jurisprudence exigeait en effet que l’enfant ait commis une faute, ce qui supposait qu’il ait agi avec discernement.
Or, en l’espèce, Pascal n’avait que 7 ans au moment des faits. Son père soutenait donc qu’il ne disposait pas d’un discernement suffisant pour commettre une véritable faute engageant sa responsabilité.
La solution révolutionnaire apportée par la Cour de cassation
La Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, va totalement bouleverser la jurisprudence antérieure dans son arrêt du 9 mai 1984. Elle affirme que pour engager la responsabilité des parents, il suffit que l’enfant ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage subi par la victime.
Ainsi, peu importe que l’enfant ait commis une faute ou qu’il dispose d’un discernement suffisant. Seul le lien de causalité entre l’acte et le dommage doit être établi. Cette solution marque un tournant vers une responsabilité objective, fondée sur le risque.
Une solution critiquée mais confirmée par la suite
Si elle a été accueillie favorablement par une partie de la doctrine, attachée à l’indemnisation des victimes, cette solution a également fait l’objet de vives critiques. Elle peut en effet sembler contraire à la conception traditionnelle de la responsabilité civile, fondée sur la faute.
Certains juridictions du fond ont d’ailleurs continué d’exiger la preuve d’une faute. Mais la Cour de cassation a réaffirmé fermement sa position dans un arrêt Levert de 2001, entérinant ainsi la portée révolutionnaire de l’arrêt Fullenwarth.
Près de 40 ans après sa publication, l’arrêt Fullenwarth continue donc de structurer le droit de la responsabilité civile des parents du fait de leurs enfants mineurs.
Les conditions de la responsabilité des parents avant l’arrêt Fullenwarth
Avant l’arrêt Fullenwarth, pour que la responsabilité des parents soit engagée, il fallait réunir plusieurs conditions :
- Que l’enfant soit mineur au moment des faits
- Que les parents exercent l’autorité parentale sur l’enfant
- Que les parents cohabitent avec l’enfant
- Que l’enfant ait commis une faute à l’origine du dommage
C’est cette dernière condition qui était discutée, la jurisprudence exigeant alors que l’enfant soit doté de discernement pour que sa faute puisse engager la responsabilité de ses parents.
Le raisonnement de la Cour de cassation
Dans son arrêt Fullenwarth, la Cour de cassation énonce clairement que seule l’existence d’un lien de causalité direct entre l’acte commis par l’enfant et le dommage subi par la victime est nécessaire.
Elle substitue ainsi un motif de droit pur à la motivation critiquée de la Cour d’appel. Ce faisant, elle acte le passage à une responsabilité objective des parents, sans faute ni discernement requis.
Les réactions doctrinales à la solution Fullenwarth
Une partie de la doctrine a approuvé cette solution, y voyant un progrès vers une meilleure indemnisation des victimes d’accidents. Mais d’autres auteurs ont critiqué cet abandon de l’exigence traditionnelle de faute en responsabilité civile.
Certains ont notamment souligné une incohérence par rapport aux autres arrêts rendus le même jour par l’Assemblée plénière, notamment l’arrêt Derguini, où la faute est maintenue.
Selon ces auteurs, la Cour aurait pu continuer à exiger une faute de l’enfant tout en l’objectivant, c’est-à-dire sans rechercher le discernement.
Bon à savoir
L’arrêt Fullenwarth s’inscrit dans un mouvement législatif de fond visant à renforcer l’indemnisation des victimes d’accidents. La loi du 5 juillet 1985, dite « loi Badinter », consacrera quelques mois plus tard le principe d’une indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, sans que soit recherchée la faute du conducteur.