Arrêt Sicard

Arrêt Sicard : Le partage des compétences réglementaires

L’arrêt Sicard rendu par le Conseil d’État en 1962 est une décision majeure du droit administratif français. Il a précisé le rôle des ministres dans la signature des décrets et clarifié le partage des compétences réglementaires entre le Président de la République et le Premier ministre sous la Ve République.

Un recours pour excès de pouvoir contre un décret de 1959

Tout commence par un recours déposé par Jean Sicard devant le Conseil d’État. Il demande l’annulation d’un décret pris en 1959 au motif qu’il serait entaché d’inconstitutionnalité. En effet, le décret contesté aurait été signé à la fois par le Président de la République et le Premier ministre alors que la Constitution n’exigeait que la seule signature de ce dernier. De plus, le contreseing des ministres compétents faisait défaut, comme l’impose l’article 22 de la Constitution.

La signature du Président n’invalide pas le texte

Le Conseil d’État statuant sur ce recours pour excès de pouvoir fait preuve de pragmatisme. Il juge que la signature supplémentaire du Président de la République sur ce décret du Premier ministre est certes superfétatoire, c’est-à-dire non nécessaire, mais qu’elle ne rend pas pour autant le texte illégal. L’essentiel étant que le Premier ministre ait lui-même signé le décret relevant de son pouvoir réglementaire.

Le contreseing des ministres responsables est obligatoire

Cependant, le Conseil d’État sanctionne l’absence des contreseings ministériels sur ce décret. Il rappelle qu’en vertu de l’article 22 de la Constitution, les ministres chargés de l’application des décrets du Premier ministre doivent obligatoirement les contresigner. Ce contreseing faisant défaut, le juge administratif prononce donc l’annulation du décret attaqué pour vice de forme.

Un arrêt fondateur sur le partage des compétences

Avec cette décision, le Conseil d’État a donc précisé de façon claire les règles constitutionnelles encadrant l’exercice du pouvoir réglementaire sous la Ve République. D’un côté, la signature du Président n’est pas indispensable sur les décrets non délibérés en Conseil des ministres. Mais de l’autre, le contreseing des ministres compétents reste obligatoire sous peine de nullité. L’arrêt Sicard fait ainsi jurisprudence et constitue une décision fondatrice sur le partage des compétences réglementaires entre le Président et le gouvernement.

Bon à savoir : le recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir est un recours spécifique devant le juge administratif. Il permet de contester la légalité d’un acte administratif, comme dans le cas de Jean Sicard avec le décret de 1959. S’il juge le recours fondé, le juge administratif peut annuler l’acte illégal. C’est un contrôle essentiel de l’action de l’administration.

Témoignage fictif : l’incompréhension d’un ministre

« Quand j’ai appris l’arrêt Sicard, je n’ai pas bien compris toutes ses implications. En tant que ministre, je pensais que ma signature sur les décrets du Premier ministre relevait plus de la formalité que d’une obligation légale. Cette décision m’a fait prendre conscience que mon contreseing était en fait indispensable pour valider les actes réglementaires dont j’avais la charge dans mon ministère. Désormais, je suis très vigilant à exercer ce contrôle essentiel sur les textes émanant du gouvernement. »

L’importance du contreseing ministériel

Derrière cette obligation constitutionnelle, il y a une volonté de contrôle et de responsabilisation. En effet, le contreseing des ministres les engage juridiquement sur le contenu des décrets. Ils ne peuvent plus se défausser en cas de contentieux. Cela les pousse à une analyse approfondie avant d’apposer leur signature. Le contreseing ministériel est donc un rouage clé du système politique de la Ve République issu de la Constitution de 1958.

Quid du pouvoir réglementaire du Président ?

Si l’arrêt Sicard clarifie les règles pour le Premier ministre, il laisse ouverte la question de l’étendue du pouvoir réglementaire propre du Président de la République. Certains constitutionnalistes y ont vu un encouragement à l’interprétation extensive des prérogatives présidentielles. Mais le Conseil constitutionnel a posé des limites dans une décision de 1987. Il a jugé que le Président ne pouvait prendre des actes réglementaires sur le fondement de ses pouvoirs propres que dans des matières limitées comme la défense ou les affaires étrangères.